Sir James THORNHILL (Dorset 1674-1735 Londres)

Caïus Furius Cressinus accusé de sortilèges

Huile sur toile, 102 x 136 cm



PROVENANCE


- Angleterre, possible collection de la mère de Jack de BEURVILLE ;

- Paris, collection privée Jack de BEURVILLE jusqu’en octobre 2023.




L’ŒUVRE


Connu pour avoir contribué aux plus grands chantiers artistiques de son temps, notamment le décor de la cathédrale Saint-Paul de Londres, en 1717, Sir James Thornhill est considéré comme le plus grand peintre d’histoire britannique de sa génération. Le tableau que nous présentons laisse reconnaître les caractères distinctifs du style de Thornhill, à commencer par les canons des figures tout en rondeur et très légèrement simplifiés : il est probable que cette vision de l’anatomie trouve son origine dans l’art de Louis Laguerre (Versailles, 1663- Londres, 1721) dont Thornhill fut l’assistant (voir Edward Croft-Murray, Decorative Painting in England, Londres, 1968, 2 vol., t. I, p. 265). A cet arrondissement des figures, se greffe un coloris particulièrement unifié, fait d’ocres rouges et bruns, venant rappeler l’aspect des compositions de Saint-Paul ; l’esquisse préparatoire à Saint Paul devant Agrippa, en prêt à la Tate Britain de Londres, le montre parfaitement (fig.4). Précisons ici le sujet de notre tableau, dans la mesure où il était alors presque inexistant en art. Dans son Histoire naturelle (XVIII, 8), Pline l’Ancien examine l’art de l’agriculture et cite l’exemple de l’affranchi Caïus Furius Cressinus, qui avait été accusé de sortilèges en raison de la surabondance de ses cultures. Pour se justifier, il parvint sur le forum devant l’édile Albinus et montra son épouse, ses outils agricoles et ses bœufs bien repus. Ayant dit « Voilà, Romains, le fruit de mes maléfices », Furius Cressinus fut alors absous et tel est précisément ce que montre le tableau de Thornhill. Or, la manière-même dont la scène a été composée est là encore typique de l’artiste. Le face-à-face entre la figure accusée et le juge trônant en hauteur est très précisément ce que montre la composition destinée à la cathédrale Saint-Paul dont nous avons parlé précédemment (fig. 4). De façon plus proche encore, cette disposition des figures resurgit dans un dessin de James Thornhill conservé au Victoria and Albert Museum de Londres (fig.1). Là encore, le concept était semblable puisque Coriolan, incarnation du pouvoir, figurait assis sur un trône surélevé, tandis que le groupe venu lui demander sa clémence apparaissait en contrebas.

Fig.1. © Londres, Victoria and Albert Museum


Un autre dessin (fig.3) provenant d’un ensemble de la collection de P. Glascodine et en possible relation avec notre tableau nous semble devoir être signalé. Il provient de l’ensemble de huit études (fig.2) de format oval similaire à un ensemble de trois conservées au Victoria and Albert Museum de Londres (D7-9/1891).

Fig.2 & 3. © Londres, Victoria and Albert Museum


Dans les deux cas, les dessins sont exécutés à la plume et au lavis et portent de nombreuses inscriptions. Le sujet semblerait être Minerve fréquentée par les Arts. Thornhill devait les utiliser dans trois commissions décoratives distinctes : à Garfield Hall dans l’Essex, à Thornhill Park près de Stalbridge et à Headley Park dans le Hampshire. 

Fig.4. © Londres, Tate Britain



Or, que ce soit sur le marché de l’art ou dans les collections du National Trust, les peintures de James Thornhill qui nous sont parvenues sont à chaque fois des modelli, esquisses, et autres projets peints se rapportant à des grands décors de murs, plafonds et cages d’escalier. C’est dire que dans la catégorie du « tableau fini », les témoignages de Thornhill sont rarissimes, L’Allégorie de Londres (Guildhall Art Gallery), étant l’un des très rares exemples du genre à avoir subsisté. L’originalité du tableau que nous présentons est justement de se rapporter à cette catégorie : rien, sur le plan technique, ne relève de l’esquisse, et l’importance de sa taille va dans le même sens. Se pose dès lors la question de la destination de notre tableau. Une hypothèse particulièrement séduisante serait qu’il était destiné à la résidence de Moor Park (Herts.). Appartenant à Benjamin Styles, directeur de la Compagnie de la mer du Sud (South Sea Company), celle-ci venait d’être bâtie sur les plans de Giacomo Leoni tout comme de James Thornhill vers 1720. Selon George Vertue, Thornhill fut chargé de décorer, aux alentours de 1720-1728, les murs du salon et de la galerie avec huit tableaux à sujet héroïque « from several stories of the Ancients, Greeks & Latins & Britons » (Croft-Murray, op. cit., p. 272). Or, c’est justement une composition destinée à Moor Park que préparait le dessin du Victoria and Albert Museum de Londres, comme l’indique l’annotation (et tel était aussi le cas du dessin, ébauché sur la partie supérieure de la même feuille, montrant Alexandre le Grand s’inclinant devant le Grand Prêtre Jaddous). A l’évidence, le sujet de Caïus Furius Cressinus se serait parfaitement intégré dans cette suite de sujets vertueux d’origine latine. Reste qu’une peinture reposant sur une construction très semblable à celle du Coriolan, au sein du même lieu, aurait été surprenante. Nous faut-il y voir, au contraire, l’origine possible de la dispute entre Benjamin Styles et James Thornhill ? A l’issue de l’exécution des travaux, en 1732, on sait en effet que les peintures de Thornhill furent démantelées et remplacées par des compositions du Jacopo Amigoni tout comme par celles d’un autre artiste vénitien. La redécouverte de témoignages en rapport avec cette commande et l’approfondissement de l’art de James Thornhill, dont nul catalogue raisonné n’existe à ce jour, viendront peut-être éclairer le sort du Caïus Furius Cressinus accusé de sortilèges.

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