Henri Lehmann Kiel 1814-1882 Paris

Henri LEHMANN (Kiel 1814 - 1882 Paris)

Allégorie de la vie humaine ou Les trois âges de la vie

                               Vers 1839-49                            

Monogrammé HL (L imbriqué dans le H) en bas à gauche

Huile sur toile (rentoilée), 88,5 x 129 cm ; 34 3/4 by 50 2/3 in.

Dans son cadre d’origine

PROVENANCE

- Collection privée, Hôtel particulier depuis plusieurs générations et jusqu’en 2017.


BIBLIOGRAPHIE

Inédit


L’ARTISTE

        Né en 1814 et originaire d’Hambourg en Allemagne, Henri Lehmann est le fils d’un miniaturiste qui l’incite dès son plus jeune âge à s’intéresser à l’art et aux sciences de la nature. A 16 ans, il entre dans l’atelier d’un graveur sur cuivre, puis dans celui du peintre allemand Siegfried Bendixen (1786-1864) qui avait suivi l’enseignement de Jacques-Louis David (1748-1825). Son professeur l’ayant encouragé à poursuivre son apprentissage à Paris, en 1831, il entre dans l’atelier de Jean-Auguste Dominique Ingres (1780-1867) qui aura une influence déterminante sur son art et sur sa carrière. Le grand maître du Classicisme lui transmet son amour de l’Antiquité, de la Renaissance italienne et la nécessité de s’en approcher pour dessiner et peindre avec justesse, avec une influence déterminante sur son art et sur sa carrière.  Celui-ci, qui le considère alors comme son meilleur élève, l’invite à le suivre à Rome où il est nommé directeur de la villa Médicis. Lehmann rejoindra finalement la ville éternelle en 1838, à ses propres frais.

C’est durant ce séjour romain, qui dure environ trois ans, que le jeune artiste, de nature mélancolique et solitaire, se lie d’amitié avec le couple Liszt-d’Agoult, alors en fuite suite à l’officialisation de leur liaison scandaleuse. Henri Lehmann est fasciné par ces deux personnages et leur passion pure, pourtant en train de s’éteindre. Il réalise leurs portraits aujourd’hui au musée Carnavalet – celui de Liszt est remarqué au Salon de 1839 – et entame une longue correspondance avec la comtesse d’Agoult dont l’emprise est croissante sur la vie et le cœur du jeune romantique, avant de s’estomper en raison des crises de jalousie de Marie.

A Rome aussi, il accompagne Théodore Chassériau (1819-1856), qu’il avait fréquenté dans l’atelier d’Ingres à Paris. Le jeune peintre, doté d’un incroyable talent précoce, est présenté comme un homme ambitieux, allant au-devant des projets du timide Lehmann trop crédule et fidèle en amitié pour se rebeller. Car, comme le rappelle Ingres à son élève, le succès vient surtout grâce aux relations. Pour faire carrière, Lehmann doit se résoudre à quitter son cocon italien pour rejoindre Paris. Il y obtient quelques belles commandes, dont une chapelle à Saint Merri et un plafond pour l’Hôtel de Ville (disparu dans l’incendie en 1871). Bien représenté à l’Exposition universelle de 1855, il reste pourtant loin derrière les maîtres du moment, Ingres et Eugène Delacroix (1798-1863).

Christophe Bigot[i], dans son ouvrage de 2015, plonge le lecteur dans la vie d’un artiste qui fréquenta les plus grands de son siècle : les musiciens Liszt et Chopin, les écrivains Sainte-Beuve et Stendhal et les peintres Chassériau et Delacroix. Au fil des pages et des années, on découvre aussi les difficultés et les doutes d’un jeune espoir de la peinture qui se résigne à rester dans l’ombre des génies de son époque, au premier rang desquels son maître, Jean-Auguste-Dominique Ingres.



 L’OEUVRE

        Iconographie singulière et inédite dans l’œuvre d’Henri Lehmann, nous proposons à celui qui la regarde d’y voir le microcosme d’une vie entière résumée à ses grandes étapes. Conception héritée de l’Antiquité, sans doute enrichie d’une érudition qui nous échappe ici, Lehmann se fait le peintre savant des âges de l’homme. Des croquis, Etude de personnage accroupi[ii] (fig.1) et Etude de femme agenouillée et drapée[iii] (fig.2)  tous deux signés en plein Henri Lehmann, en lien avec le vieillard et la femme à ses côtés dans notre composition, sont recensés dans le catalogue raisonné de Marie-Madeleine Aubrun[iv] sans qu'ils ne puissent être associés à une œuvre répertoriée.

FIG.1.  Henri LEHMANN

Etude de personnage accroupi

Crayon, 28 x 22 cm

Localisation actuelle inconnue                                                                                                  

FIG.2. Henri LEHMANN

Etude de femme agenouillée et drapée

Black Chalk, 22,2 x 15,3 cm

Localisation actuelle inconnue     



Dans notre composition, l’hommage au maître est double. Grand admirateur de la Renaissance italienne dont les peintres sont d’après lui parvenus au sublime de l’art pictural, Ingres s’en inspira beaucoup dans ses propres compositions. Avec sa figure alanguie au premier plan, Lehmann nous rappelle qu’à l’instar de son maître dans son Jupiter et Antiope[v] – l’on remarque d’ailleurs une similarité entre les deux modèles avec le pied droit sur le talus de la berge - il a vu Venise et les artistes du Cinquecento. S’il n’insiste pas sur la sensualité des figures féminines de Giorgione et Titien, le lien se fait dans la pose. Plus encore avec cette superposition de l’espace horizontal, Henri Lehmann invite notre regard à passer de scène en scène et à gagner en profondeur. Si une interprétation globale doit être appréhendée afin de comprendre le tableau, la symbolique entretient les interrogations du spectateur et nous rappelle certaines œuvres vénitiennes. Tout indique une probable exécution de l’œuvre en Italie, Lehmann y ayant rejoint Ingres à Rome en 1838.


Au-delà de cette inspiration, Lehmann est sans doute touché par le courant néogrec dont les membres se plaçaient dans la lignée d’Ingres. Ce dernier lui-même n’y était pas resté insensible et s’y adonna un temps. La référence à l’Antiquité, prégnante depuis le XVIIIe siècle, évolue ainsi vers les années 1840, datation qui correspond également au voyage de Lehmann à Rome. Mise en scène par des compositions rigoureuses jusqu’alors, elle devient le théâtre de l’idylle et de l’onirisme, mêlant au sérieux le scabreux. Lehmann a sans doute été touché par la mouvance néogrecque dans son remarquable tableau où les étapes de l’existence défilent. Nous serions ainsi tentés de voir une vie qui débute à l’arrière-plan où deux jeunes gens sont invités à rejoindre la ronde dansante ; puis se poursuit jusqu’au couple debout de dos et dont le lien physique préfigure la scène du premier plan. Parvenu à l’âge adulte symbolisé par la venue de l’enfant, le crépuscule de la vie résonne finalement dans les figures sous l’arbre, éclairées par la lumière douce du soir naissant. 

La construction néoclassique en frise est ici rompue par les deux couples à droite, mais l’enseignement du dessin comme base de tout reste sensible dans les figures de Lehmann aux traits fins et aux drapés flottants délicatement. La palette quant à elle, devient plus chaude et diverse. Ainsi, si au fil de sa carrière, nombreuses avaient été les critiques à juger les coloris de Lehmann froids, secs voire même archaïques, là au contraire, les teintes se font chaudes et nous plongent dans l’atmosphère d’un soir d’été en campagne italienne. Sans céder à la mélancolie, la vie continue de résonner dans la musique et la danse dont l’écho occupe les plans les plus reculés.                                     





[i]   Christophe BIGOT, Les Premiers de leur siècle, Paris, Editions La Martinière, 2015.

[ii]  Répertorié sous le n° D.897, page 202 du catalogue raisonné par Marie-Madeleine Aubrun.

[iii] Répertorié sous le n° D.295, page 85 du catalogue raisonné par Marie-Madeleine Aubrun.

[iv] Marie-Madeleine AUBRUN, Henri Lehmann, catalogue raisonné de l’œuvre, éditions Chiffoleau, 1984.   

[v]  Jean Auguste Dominique INGRES, Jupiter et Antiope, Signé et daté 1851, huile sur toile, 32,5 x 43,5 cm, Musée d’Orsay (inv. RF 2521).


PHOTOGRAPHIES DE DÉTAILS