Louis CHÉRON (Paris, 1655 – Londres, 1725)

Apollon et Daphné

Huile sur toile. H. 1,29 ; L. 1,65.

 

 

 

PROVENANCE : 
 

·       Probablement vente Mrs. Pickering (et autres), Londres, 7-14 février 1729 (Getty Provenance Index, Cat. Br-A296), n° 3 (Louis Chéron. Apollo and Daphne ; sans dimensions, conformément aux catalogues de ventes de cette époque) ;


·       Possiblement vente William Powlett, Londres, 17-18 mars 1743 (Lugt983 et 585b), n° 59 (cette fois en pendant à une Léda du même artiste ; Louis Chéron, Apollo and Daphne (toujours sans dimensions)); vendue £ 5,50 (la paire) ; 


·       Probablement vente George Michael Moser, Londres, 19-27 mai 1783 (Getty Provenance Index, cat. Br-A1363), n° 81 (Louis Chéron. Apollo and Daphne) ; vendu £ 3,5 ;

·       Collection privée Rome jusqu'en 2022. 


 

​            Longtemps considéré au XX ème siècle comme de l’école romaine du 17ème siècle, puis à l'entourage de Louis de Boullogne (1654-1733), le tableau que nous présentons s’avère en fait un témoignage extrêmement rare du peintre Louis Chéron. 


 

             L’artiste ayant été récemment l’objet d’une rétrospective (Fr. Marandet, Louis Chéron, 1655-1725, L’ambition du dessin français (cat. exp. Musée des Beaux-arts de Caen, 2021-2022), Deauville, 2021), l'on rappellera ici brièvement les principaux accomplissements de sa carrière. 

Né au sein d’une famille de peintres et orfèvres, Louis Chéron fut lauréat du « Grand Prix » annuel de l’Académie royale en 1676, ce qui lui permit de se rendre à Rome où il copia les peintures de Raphaël et d’Annibal Carrache. Il se rendit également à Venise où il obtint une commande pour le chœur de l’église San Pantaleone (La Piscine de Béthesda ; in situ). De retour à Paris, Louis Chéron peignit notamment deux « Mays » pour la cathédrale de Notre-Dame mais la révocation de l’édit de Nantes compromit la poursuite de ses travaux en France. Fervent protestant, Louis Cheron décida de fuir le royaume pour gagner l’Angleterre, en 1693. Grâce à la protection du duc de Montagu, ancien ambassadeur à la cour de France, il obtint de grandes commandes décoratives, celle de sa résidence londonienne de Montagu House (autrefois à l’emplacement de l’actuel British Museum) puis celle de sa Country House de Boughton. Il réalisa dans la foulée d’autres grands décors, notamment celui de Chatsworth House, suite à sa reconstruction par le duc de Devonshire. Cependant, la concurrence croissante avec Louis Laguerre, autre peintre d’histoire français actif à Londres, et l’émergence de James Thornhill, devaient conduire Louis Chéron à réaliser d’autres types de travaux. Comme c’était un dessinateur hors-pair, il réalisa des illustrations par centaines pour les éditeurs anglais, à commencer par le plus renommé de l’époque, Jacob Tonson. En 1720, Louis Chéron devait encore créer sa propre école d’art à Londres, « the Saint-Martin’s Lane Academy », dont l’originalité fut l’introduction de femmes nues comme modèles. Un artiste anglais aussi célèbre que William Hogarth y fut formé, au début des années 1720. 

​Comme nous l’avons montré, l’absence de marché pour la « peinture anglaise contemporaine » explique en grande partie l’étrange répartition de la production de Louis Chéron (voir Fr. Marandet, op. cit., p. 83-87). Soit l’artiste peignait « en très grand » (plafonds, décors de galeries et cages d’escaliers), soit il réalisait des dessins, qui, a fortiori, étaient à une échelle infiniment plus réduite. Il n’en demeure pas moins vrai que l’artiste aura produit des tableaux de chevalet, bien que rares dans sa production.

 


Fig. 1. © Sotheby's                                      Fig. 2. © Sotheby's



D'autres ont aussi été identifiés sur le marché de l’art lors de la préparation de la rétrospective du musée de Caen. Il en est ainsi d’un Moïse et le serpent d’airain, d’un Sacrifice d’Isaac, d’un Christ à Emmaüs (Ibid., p. 86-87, repr.) ou encore d’une Danaé (Ibid., p. 248, repr.). Or, c’est précisément à cette catégorie si rare – celle du « tableau de chevalet » - que se rattache notre tableau. Si l’on considère aussi le sujet mythologique dont il est question, celui-ci apparaît donc comme le deuxième du genre à avoir été retrouvé après la Danaé (lequel doit être en fait le portrait d’une femme nue en Danaé). Il est aussi à noter une paire d'esquisses de sujets mythologiques passée en vente chez Sotheby's et dont la manière est à rapprocher de notre tableau (Louis CHERON, Vénus et Adonis/Diane et Endymion, signés, toiles, 50,5 x 36,5 cm, Sotheby’s Londres 08/12/2005, lot n°326) (fig. 1 & fig. 2 ). Plusieurs aspects, dans notre tableau, viennent confirmer son classement sous le nom de Louis Chéron. On remarque d’abord que les jambes de Daphné sont articulées exactement comme celles d’Hermaphrodite tel qu’il apparaît dans l’un des dessins de « l’Album Derby » du British Museum (Ibid., p. 95, fig. 100 ; fig.3. Notons aussi le même genre de larges troncs d’arbres obliques dépourvus de ramification. On peut comparer aussi notre tableau à la Danaé, qui révèle un sens proprement plastique tout aussi prononcé. Resserrées au niveau des genoux, les jambes de la Danaé s’éloignent l’une de l’autre lorsqu’on descend en direction des pieds. L’un des putti allongés au sol, dans notre tableau, adopte très exactement cette pose étrange au niveau des jambes. Le rendement du ciel est l’autre point commun frappant entre les deux tableaux (remarque qui vaut également, d’ailleurs, pour Le Christ à Emmaüs de Louis Chéron cité plus haut, mais aussi avec la paire vendue chez Sotheby's en 2005 (fig. 1 & fig. 2)). On remarque en effet le même type de ciel crépusculaire parcouru de nuées dorées. Qui plus est, ces nuées sont peintes avec la même touche esquissée, le pinceau suivant un tracé légèrement ondulatoire. Au vu du style et des canons des personnages, notre tableau doit se rattacher aux alentours de 1720, qui voit Louis Chéron à l’apogée de sa carrière avec la fondation de sa propre école d’art. 


FIG. 3. © British Museum

 

 

      Enfin, ne manquons pas de signaler le caractère rarissime de notre Apollon et Daphné, un seul tableau de Louis Chéron conservé dans les musées français et représentant Le Prophète Agabus prédisant à saint Paul ses malheurs (musée des Beaux-Arts de Caen), il serait préparatoire au May de la cathédrale Notre-Dame de Paris ou alors l’un de ces « petits du May » comme on les nommait au XVIIIème siècle. 



        Nous remercions François Marandet de nous avoir confirmé l’authenticité du tableau. 




PHOTOGRAPHIES DE DÉTAILS