
Michel II CORNEILLE dit Michel CORNEILLE le Jeune (Paris, 1642 – id., 1708), Vers 1680
Allégorie de la Géométrie
Huile sur toile (Agrandie de deux bandes latérales de 4 et 5cm), 118,5 x 66 cm
PROVENANCE
- Marché de l'Art, février 2025, comme attribué à François Marot
L’ARTISTE
Michel II Corneille (Paris, 1642- id., 1708) reste connu comme l’un des plus importants peintres d’histoire français de sa génération.
Après avoir travaillé au service du fameux banquier collectionneur Everhard Jabach, il séjourna plusieurs années en Italie puis se fit recevoir à l’Académie royale de peinture et sculpture dès 1663. Michel II Corneille devait alors participer aux commandes royales les plus prestigieuses de l’époque. Après avoir réalisé le décor peint de l’antichambre des Appartements de la Reine du Château de Versailles (in situ), il peignit en 1686 le tableau le plus en vue, sans doute grâce au soutien de Louvois, pour la nouvelle paroisse Notre-Dame de Versailles (toujours en place ; au sujet de cette peinture et de la découverte d’une autre version, voir, Fr. Marandet, « L’Église Notre-Dame de Versailles : nouvel éclairage sur la commande de tableaux de 1686 », Versalia, 2025, n° 28, p. 157-172). Il semble avoir assuré un rôle central à la même époque, lors de l’entreprise de la tenture dite des « Sujets de la Fable ». Par la suite, entre 1688-1693, il reçut commande d’une série de tableaux pour le Trianon mais n’en livra qu’une partie (in situ et Château de Versailles). Plus tard encore, il devait décorer la chapelle Saint-Grégoire de l’église royale des Invalides (disparue mais connue par des dessins et estampes).
L’ŒUVRE
Aux côtés de ses travaux pour les Bâtiments du roi, Michel II Corneille réalisa de multiples tableaux pour amateurs d’art quoique
leur nombre reste plutôt réduit dans les musées à l’heure actuelle. Or, le tableau que nous présentons, totalement inédit, se rattache à un autre type d’entreprises. Son format vertical et la nature du sujet, allégorique, en font à l’évidence quelque panneau à caractère décoratif. Indépendamment de son style intrinsèque, le classement de notre tableau sous le nom de Michel II Corneille est confirmé par l’existence du dessin préparatoire à la composition (fig. 1). Celui-ci se trouve conservé au cabinet des arts graphiques du Musée du Louvre (inv. 34001. Pierre noire et rehauts de blanc sur papier beige. H. 0,58 ; L. 0,25). La seule différence notoire tient au cadre spatial que l’artiste allait davantage définir au moyen de l’adjonction d’une tenture ainsi que d’une colonne tronquée sur un piédestal.
FIG.1 © Paris, musée du Louvre
Représentant L’Arithmétique, un autre dessin de Michel II Corneille issu de la même collection (fig. 2) suggère aussi la création d’une série à caractère allégorique (inv. 34049). Classés comme anonymes depuis leur saisie dans la collection Saint-Morys, ces deux dessins furent rendus à juste titre à Michel II Corneille par Arnauld Brejon de Lavergnée (Barbara Brejon de Lavergnée et al., Simon Vouet ou l’éloquence sensible : dessins de la Staatsbibliothek de Munich (catalogue d’exposition, Nantes, Musée des Beaux-arts), Paris, 2002 p. 19, repr. l’un et l’autre). La redécouverte de cette série qui n’est guère documentée par les sources, que ce soit la biographie de Dezallier d’Argenville ou même les notes de Pierre-Jean Mariette (pourtant apparenté à la famille Corneille), pose la question des précédents. En effet, l’artiste reste d’abord connu pour ses peintures à sujet biblique et mythologique et certainement moins pour sa contribution à l’allégorie. En réalité, les ventes anciennes font état de certains témoignages dans ce domaine. Ainsi la vente de la marquise de Langeac, le 2 avril 1778 (Lugt 2822) mentionne -t-elle, sous le n° 38, une Allégorie des Arts dédiée à M. Colbert par Michel II Corneille. La vente Calonne, du 11 mai 1789 (Lugt 4445) comprenait quant à elle, sous le n° 95, un « sujet allégorique » du même artiste. Certains tableaux allégoriques de Michel II Corneille nous sont d’ailleurs parvenus, quoiqu’étant à caractère politique. Tel est le cas de l’Allégorie du Passage du Rhin (Huile sur toile. H. 0,49 ; L. 0,73, Château de Versailles).
FIG.2 © Paris, musée du Louvre
En réalité, l’artiste avait peint de pures allégories, dans l’antichambre des appartements de la reine, mais leur emplacement les a toujours rendues discrètes. Chacun des écoinçons montre en effet, sous forme de personnifications, la Diligence, la Vigilance, l’Académie, et le Commerce. Notons au passage que la peinture représentant Aspasie s’entretenant avec les philosophes, dans la même salle, ne montre rien d’autre qu’un géomètre grec (vraisemblablement Euclide) muni de sa tablette ; l’idée n’est guère éloignée de celle de notre tableau… Mais le plus remarquable est la participation de Michel II Corneille, vers 1683, au fameux décor peint du « Cabinet des Beaux-arts » de Charles Perrault. Le concept de modernité étant cher au commanditaire, la vieille idée des arts libéraux avait été effacée au profit des arts « modernes ». Ainsi L’Optique peinte par Corneille (perdue mais connue par la gravure), apparaissait en fait comme la modernisation de l’Astronomie (Uranie). Or, il est évident que le sujet même de notre peinture revenait à l’esprit « conservateur » des arts libéraux dont la Géométrie et l’Arithmétique faisaient partie. Si nous employons le verbe « revenir », c’est bien parce que la tonalité résolument claire de notre tableau contraste avec la plus grande partie des œuvres de Michel II Corneille conçues jusque dans les années 1680. Si notre tableau appartiendrait donc à la phase tardive de sa production, la question de sa destination demeure mystérieuse. Nous faut-il imaginer que Michel II Corneille aurait entièrement conçu, pour la salle de quelque riche particulier, un cycle consacré aux arts libéraux ? Si oui, aurait-elle pu constituer, au cœur de la fameuse querelle opposant « Anciens » et « Modernes », une réponse à l’entreprise de Perrault ? Une autre hypothèse mérite d’être prise en compte. Connaissant le rôle prépondérant de Corneille à la manufacture des Gobelins à partir de 1684, il aurait pu tenter de créer un carton de tapisserie sur le thème des arts libéraux. Si tel est le cas, il aurait certainement rivalisé avec Noël Coypel, auteur du carton représentant La Grammaire parmi les Arts Libéraux (Paris, Mobilier National ; en dépôt au Musée du Grand Siècle, Saint-Cloud). La réapparition d’autres peintures de Corneille se rattachant à cette commande nous permettra peut-être d’en savoir davantage.
Les œuvres peintes par Michel II Corneille sont rarissimes, seulement une dizaine proposées sur le marché de l’art dans les quarante dernières années, la découverte de notre tableau en est d’autant plus importante.
PHOTOGRAPHIES DE DÉTAILS