
Nicolas LANCRET (Fontainebleau 1690 – 1743 Paris)
Vers 1730
Portrait de Charles de Fieux, chevalier de Mouhy (Metz 1701-1784 Paris)
Signature usée sur la lettre : « La.c »
Huile sur toile (rentoilée), 100,5 x 80 cm
Le nom du modèle inscrit au verso de la toile et du châssis
PROVENANCE
- Nice, Collection privée jusqu’en juillet 2024
LE MODÈLE
L’identité du modèle nous est donnée au revers de la toile et du châssis, inscriptions probablement rapportées par un restaurateur lors du rentoilage de l’œuvre. Elle se trouve confirmée par la gravure de 1737 du portrait de Charles de Fieux à l’âge de 36 ans (Latinville Pinx. Et Fessart Scul.) (fig.1). L’estampe montre un modèle plus âgé, le nez, la bouche et le menton bien reconnaissables, mais aussi le front, donc pas contradictoire, l’inscription au dos du tableau correspondant à la bonne identité du modèle.
FIG.1.
Notre portrait peint révèle un homme plus jeune que le modèle de la gravure, il est ainsi permis d’estimer l’âge de Charles de Fieux à une petite trentaine d’années, soit une date approximative d’exécution du tableau vers 1730.
Charles de Fieux, chevalier de Mouhy (Metz 1701–1784 Paris), fut un romancier prolifique mais aussi un journaliste engagé dans la vie littéraire parisienne. Il a collaboré avec Voltaire (1694-1778) et s’est impliqué dans la publication de périodiques tels que Le Papillon (fig.2) (Journal des dames, des Salons, des Arts, de la Littérature, des Théâtres, et des Modes), mais aussi Le Répertoire qu’il fonda en 1735, l’année où Lancret fut nommé conseiller à l’Académie le 24 mars 1735, périodique contenant des anecdotes parisiennes et des critiques littéraires. En 1736, il se met au service de Voltaire, lui envoyant des "nouvelles à la main"[i] de Paris, soutenant ses pièces de théâtre, suivant ses procès et, occasionnellement, lui servant de prête-nom. Le 25 avril 1741, le chevalier de Mouhy est enfermé à la Bastille pour avoir publié Les Mille et une faveurs sans permission[ii] (Contes de Cour, tirés de l’ancien gaulois, par la Reine de Navarre, 4 tomes), Mouhy aura opéré là une transgression, glissant aisément de la galanterie à la paillardise, l’auteur masquant les scènes érotiques par l’euphémisme. Ses œuvres incluent des romans comme La Paysanne parvenue et La Mouche, ainsi que des ouvrages sur l’histoire du théâtre, tels que Tablettes dramatiques et Abrégé de l’histoire du Théâtre-Français.
FIG.2.
Nicolas Lancret (1690–1743), quant à lui, peintre renommé, élève d’Antoine Watteau, membre de l’Académie royale de peinture et de sculpture, connu pour ses scènes galantes et ses représentations de la vie mondaine, un genre pictural qui mêle élégance, sensualité et mise en scène théâtrale. Il a peint des œuvres destinées à orner des résidences privées, mais aussi des théâtres ou salles de réception. Ses tableaux participaient au décor rococo, frivole et théâtral, qui dominait la culture visuelle de son temps. Dans certaines de ses œuvres, Lancret ne se contente pas de faire allusion au théâtre : il représente directement des scènes de spectacle, comme des représentations en plein air, des danses ou des pièces. Il documente ainsi une forme de vie théâtralisée propre à l’aristocratie du XVIIIème siècle avec laquelle il jouissait d’une forte popularité. Le lien entre Nicolas Lancret et le théâtre est essentiel à la compréhension de son style et de son époque, comme Watteau il puise largement son inspiration dans la Commedia dell’arte, forme théâtrale italienne populaire aux XVIIème et XVIIIème siècles.
Dès lors, l’on imagine bien le lien qui pouvait unir Nicolas Lancret et Charles de Fieux, le chevalier Mouhy aura écrit sur le théâtre et la société de son époque, tandis que Lancret peignait des scènes similaires. Leurs domaines respectifs, la littérature et la peinture, interconnectés culturellement - il s’agit aussi avec Voltaire d’hommes d’une même génération - doivent permettre dans le temps de retrouver d’autres informations, Mouhy peint par Lancret n'en a que plus de sens.
L’ŒUVRE
La signature de notre portrait, présente sur la lettre tenue par la main droite du modèle, a été correctement identifiée à la faveur d’une étude scientifique[iii]. Au microscope digital, quelques lettres rendues plus distinctes suffisant à identifier et reconstituer partiellement le nom de Lancret.
Les témoignages de la peinture de portrait par Nicolas LANCRET sont rares : une paire de tableaux de petit format (toiles, 41,3 x 33,3 cm & 39 x 31cm), Portraits de Mr. et Mme. Gaignat, est conservée au Fogg Art Museum, University of Harvard.
La manière très libre avec laquelle notre œuvre est peinte, l’on remarque une certaine rapidité d’exécution, dont témoigne le repentir de la main droite du modèle initialement appuyée sur le bord de la console, mais aussi un autre repentir de drapés rouges autour de la taille (fig.3 détail), est comparable à celle d’une autre œuvre de l’artiste ; pour comparaisons avec le
Portrait de famille sur fond de paysage par Lancret (toile, 74,3 x 93,4 cm, Tajan, 18 déc 2002, lot 40, ancienne collection Wildenstein, Paris, 1924), peint avec une technique similaire, voir l’index de la main gauche de l’homme tout en transparence sous le drapé.
FIG.3. Détail.
L’Autoportrait de l’artiste, toile, 89 x 72 cm (vente Ader-Tajan, 7 nov 1991, lot 76), probablement peint dans les années 1715/1720, justifie d’être cité dans cette notice tant il représente un beau témoignage de l’art du portrait par Lancret. Le modèle fut célèbre, par la suite gravé par des sculpteurs comme Ch. Courtry et M. Aubert.
[i] François Moureau, Répertoire des nouvelles à la main. Dictionnaire de la presse manuscrite clandestine, Oxford, Voltaire Foundation, 1999.
[ii] Charles de Fieux de Mouhy [archive] sur le Dictionnaire des journalistes (1600-1789).
[iii] Rapport Art in Lab du 10 mars 2025
PHOTOGRAPHIES DE DÉTAILS