
François MAROT (Paris, 1666 – id., 1719)
Vers 1717-18
Allégorie de la Vue
Signé en bas à gauche "Marot. fecit"
La redécouverte toute récente du peintre-académicien François Marot (1666-1719) a été l’occasion de clarifier l’amalgame avec Charles de La Fosse (1636-1716), son maître, avec lequel il a été souvent confondu (voir Fr. Marandet, « Dans le sillage de Charles de La Fosse : François Marot (1666-1719), Les Cahiers d’Histoire de l’Art, 2010, p. 40-47 ; et, du même auteur, « François Marot : quatorze œuvres redécouvertes, Les Cahiers d’Histoire de l’Art, 2015, p. 68-74).
À l’issue d’un apprentissage auprès de Charles de La Fosse (1636-1716), François Marot fut reçu peintre d’histoire à l’Académie royale de peinture et sculpture en 1702 (Allégorie de la Paix de Ryswick ; Tours, Musée des Beaux-arts). Il fut par la suite mobilisé pour les Bâtiments du roi. En 1711, il participa à la tenture de l’Histoire du roi (L’Institution de l’ordre militaire de saint Louis, connue par une esquisse conservée au Château de Versailles). Trois ans plus tard, en 1714, il reçut commande pour un tableau destiné au Trianon de marbre (Latone et les paysans de Lycie ; in situ). Or, ces rares commandes royales offrent une dichotomie avec le rôle de premier plan qu’assura Marot en matière décorative, tant en France qu’à l’étranger. Comme nous l’avons démontré, il fut en effet payé vers 1704 pour livrer des tableaux à l’entourage du duc Maximilien-Emmanuel duc de Bavière par l’intermédiaire des frères Paul et André Vérani de Varenne, deux joailliers richissimes (Marandet 2015, op. cit., p. 71). C’est dans ce contexte de commandes aristocratiques qu’il nous faut relier le tableau inédit que nous présentons. Celui-ci représente une Allégorie de la Vue telle qu’elle fut codifiée par Ripa.
Vu son format horizontal et son sujet, notre peinture devait s’inscrire dans quelque série illustrant les cinq sens sous forme allégorique. La meilleure preuve est la réapparition dans le commerce d’art, il y a quelques années, d’une Allégorie de l’Ouïe (vente Milan, Semenzato, 19 octobre 1999, n° 65; fig. 1). Au-delà des dimensions semblables (de 76 cm x 138 cm), celle-ci porte en bas à gauche la signature « Marot » comme sur notre peinture. Indépendamment de ces observations, notre tableau offre une facture typique de François Marot. Les effets par endroits délibérément esquissés, surtout là où les étoffes se font froissées, viennent rappeler toute l’influence de La Fosse, et, à travers lui, celle du modèle rubénien. Depuis la fameuse « querelle » provoquée par les Rubens du duc de Richelieu, l'on sait combien l’art de Rubens était en train de réorienter la vision des artistes français à la fin du règne de Louis XIV.

Fig.1.
Deux dessins de François Marot viennent confirmer le classement de notre tableau et permettent de suivre sa genèse.
Le premier est localisé dans une collection privée en Grande-Bretagne. On reconnaît clairement le modèle à partir duquel François Marot conçut sa personnification de la vue. On découvre par là même qu’elle avait été étudiée dénudée avant d’être en partie drapée, dans un second temps. La cambrure du putto à ses côtés révèle également une inversion de pose : au moyen de cette discrète modification, il se rapprochait ainsi de la Vue tout en regardant le spectateur.
Le second dessin proposé par la Galerie Paul Prouté, à Paris. On y voit un semblable nu, lequel était sans doute préparatoire à une allégorie issue de la même série. On remarque surtout deux « reprises » de membres en rapport avec notre tableau. Ainsi la main droite, dans la partie haute, prépare-t-elle celle de la personnification de la vue. De façon plus flagrante, l’avant-bras gauche prépare celui de la même figure, muni d’un miroir.
Une dernière observation s’impose au sujet de notre tableau. La chronologie de la production de François Marot couvre en effet une trentaine d’années (de 1690, grosso modo, à 1719) mais les jalons permettant d’en suivre l’évolution sont extrêmement rares, faute d’œuvres datées. Or, si tel n’est pas le cas de notre peinture, la nature-même de l’encadrement de L’Allégorie de l’Ouïe trahit forcément une datation tardive. On sait en effet que les premières bordures chantournées ne virent le jour qu’à partir de la Régence. Connaissant la date de mort de François Marot (1719), notre tableau n’a pu avoir été peint par celui-ci qu’à l’extrême fin de sa vie, sans doute aux alentours de 1717-1718.
Nous remercions François Marandet d'avoir confirmé l'attribution et pour son aimable assistance dans le catalogage.
PHOTOGRAPHIES DE DÉTAILS