Joseph CHRISTOPHE  (Verdun 1662 – 1748 Paris)

Vers 1718-20

Saint Philippe convertit l’eunuque de Candace

Huile sur toile, 72 x 59 cm 


PROVENANCE

-        Collection privée Italie ;

-        Acquis en 2024.


 

L’ŒUVRE

        Le tableau de notre galerie est un rare témoignage de l’art du peintre-académicien du début du 18ème siècle Joseph Christophe. De nos jours quelque peu oublié, celui-ci avait pourtant occupé le sommet de la hiérarchie académique, ayant été promu au titre de recteur de l’institution en 1744. Rappelons que Joseph Christophe, originaire de Verdun, avait gagné Paris vers 1680 avant d’entrer dans l’atelier des frères Bon Boullogne (1649-1717) et son frère cadet Louis de Boullogne (1654-1733). En 1687, Joseph Christophe devint lauréat du « Grand Prix » de l’Académie royale de peinture et sculpture mais dut rester à Paris, faute d’avoir reçu une pension. Affilié à la maîtrise des peintres et sculpteurs, il obtint la commande du prestigieux May de Notre-Dame, en 1696 (perdu mais connu par un modello conservé dans une collection particulière, à Paris). En 1702, il se fit recevoir à l’Académie royale comme peintre d’histoire (Persée tranchant la tête de la Gorgone Méduse, Tours, Musée des Beaux-arts). Les commandes royales vont alors se succéder : réalisation de cartons pour les vitraux de la nouvelle chapelle royale du Château de Versailles (1708-1709), participation à « L’Histoire du Roi » avec un carton de tapisserie (Le Baptême du Dauphin, 1710, Château de Versailles), réalisation de trois tableaux pour la Ménagerie (1711 ; perdus mais connu pour l’un d’entre eux au Château de Fontainebleau), participation au décor de la Salle des Machines du Château des Tuileries (1720, disparu). Aux côtés des meilleurs peintres de son temps (François Lemoyne, Jean-François de Troy, Louis Galloche, Henri de Favanne), Joseph Christophe devait encore participer, en 1724, au décor de l’hôtel particulier du duc de Bourbon, à Versailles (actuel Hôtel-de-Ville ; in situ).


        L’un des traits les plus originaux de l’art de Joseph Christophe est sa tendance à faire fusionner peinture d’histoire et peinture de genre. Sans doute avait-il été initié à cette question par l’intermédiaire de son maître Bon Boullogne (peignant aussi bien des sujets d’histoire que des scènes de genre à la façon des maîtres hollandais). Au-delà de cette perméabilité des catégories picturales en vigueur, Joseph Christophe donne bien souvent à sa production une touche d’ironie (voir Fr. Marandet, « Joseph Christophe (1662-1748), peintre de genre et peintre d’histoire », La Revue des Musées de France, octobre 2008, n° 4, p. 79-87). L’ouverture d’un Salon des académiciens, en 1704, fut l’occasion pour lui de le démontrer à travers une paire de tableaux comme La Chasse aux canards par de jeunes garçons et son pendant, Le Retour de chasse (autrefois à la Galerie Perrin, Paris). Or, notre tableau illustre bien ce phénomène de fusion des genres et d’humour. L’artiste a illustré le passage des Actes des Apôtres au cours duquel saint Philippe, ayant accosté un haut fonctionnaire, eunuque de la reine éthiopienne Candace, le convertit au christianisme alors que celui-ci se rend à Jérusalem (Actes, 8, 26-38). Saint Philippe lui annonce qu’une formule du Livre d’Isaïe, que l’eunuque tente d’interpréter, ne signifie rien d’autre que l’arrivée du Seigneur sur terre. Ce dernier demande alors à se faire baptiser et fait arrêter le char. Il s’agit donc bel et bien d’un sujet biblique, mais l’artiste tend à transformer son tableau en une véritable scène de genre. Nous ne verrions pas tant l’instant d’une conversion qu’un char et des voyageurs sous un jour exotique. C’est vrai du palmier, des habits orientaux, de l’eunuque et des dromadaires qui tirent l’attelage. Quant au sens proprement ironique, il tient à la mise en évidence au tout premier plan, des dromadaires alors qu’on s’attendrait à ce qu’ils jouent un rôle subalterne. Le traitement réservé aux écuyers armés en compagnie du chien, sur la droite, va dans le même sens : l’interruption de la marche suscite en effet leur incompréhension, d’où cette expression de stupéfaction.


         Sur le plan de l’écriture, on note les plis des draperies prenant une apparence flottante : la tunique de l’écuyer du premier plan le montre bien, tout comme le manteau de saint Philippe. Cette forme de vibration rythmique est très exactement ce qu’on observe dans L’Hiver, scène de genre conservée au Cabinet d’arts graphiques du Louvre qui doit dater de la même époque.


       Mais le plus important concerne la destination de notre tableau. Sachant qu’il illustre les Actes des Apôtres, il pourrait bien entretenir un lien avec la série des Mays de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés dont le programme fut entièrement puisé dans cet ouvrage. Au-delà de la question iconographique, on sait que ces Mays furent conçus à la fin des années 1710, ce qui serait compatible avec le style de notre tableau de Christophe. En outre, celui-ci est réputé avoir peint l’un des Mays de 1717 (Saint Pierre et Saint Barnabé repoussant les sacrifices à Lystres ; perdu). Le plus troublant est qu’en 1718, le peintre Nicolas Bertin fut chargé de peindre l’instant consécutif à celui de notre peinture de Christophe : Saint Philippe baptisant l’eunuque de Candace (in situ, église de Saint-Germain-des-Prés ; réduction au Louvre). On en vient alors à se demander si notre tableau n’est pas une proposition de l’artiste dans le but d’obtenir la commande d’un May supplémentaire, peut-être celui de 1718. Les points communs entre les deux tableaux sont d’ailleurs troublants : on observe la même configuration du palmier, sur la gauche, un semblable piton rocheux, à l’arrière-plan, et la même mise en évidence des dromadaires. Tout semble prouver que Bertin et Christophe échangèrent leurs idées à l’occasion de cette commande. On notera au passage que Claude-Guy Hallé, autre participant au cycle de Saint-Germain-des-Prés, avait représenté Saint Paul à Malte, soit exactement le sujet du May de Claude Verdot (connu par une réduction au Louvre ; voir Fr. Marandet, « Nouvel éclairage sur la carrière de Claude-Guy Hallé à travers douze œuvres inédites », Les Cahiers d’Histoire de l’art, 2017, p. 25-36).


        On rappellera enfin la rareté des témoignages de Joseph Christophe dans les collections publiques. Si l’on met de côté les cinq « académies » réalisées par l’artiste dans le cadre de ses fonctions d’enseignant à l’Académie royale et le dessin que nous avons retrouvé au Louvre , on ne peut guère citer – en matière de peintures - que le morceau de réception, le carton de tapisserie sur « L’Histoire du roi » et sa réduction (l’un comme l’autre au Château de Versailles), le tableau peint pour la Ménagerie (Fontainebleau), et L’Adoration des Mages du Musée de Dôle, soit cinq peintures seulement.




PHOTOGRAPHIES DE DÉTAILS